“A propos du roi Arthur on dit que Morgane, sa sœur, l’a emmené sur l’Ile de Brasil, à vingt cinq lieues marines des côtes irlandaises, île qu’elle avait ensorcelée afin qu’aucun navire ne la trouve car elle était une excellente enchanteresse grâce à ce que Merlin lui avait appris dans l’espoir de la conquérir. Il ne fait aucun doute que cette île existe et qu’elle est enchantée car tous les marins la trouvent sur les cartes qu’ils utilisent pour naviguer sur les mers créées au tout début du monde, bien avant tout ceci.
Et les Anglais disent qu’un bateau peut trouver cette île s’il la voit avant que l’île ne le voie. Un navire de Bristol l’a trouvée un jour à l’aube et, ne sachant pas ce que c’était, a ramené à son armateur beaucoup de bois de l’arbre appelé brasil. L’armateur devenu très riche et d’autres partirent à la recherche de cette île mais ne la retrouvèrent jamais. Parfois, des navires l’ont vue mais la tempête les a empêchés d’y accoster. Elle est ronde, petite et plate.”
Lope García de Salazar, 1475
Le géant brésilien a conservé, dans la région intérieure, une culture « sans samba, bossa nova ou carnaval » qui se rapproche bien davantage des anciennes cultures rurales européennes, le génie musical naturel des Brésiliens en plus. Cet “autre Brésil” est leur finistère, intérieur et non maritime bien que la légende dise que ce sertão, comme l’appellent les Brésiliens, “deviendra mer un jour”… La culture de cette région, y compris sa puissante musique, est pratiquement inconnue à l’étranger mais de nombreux Brésiliens la considèrent comme la plus authentique. On dit que la musique « sertaneja » est leur “country music” et le « forró » leur “folk”, pour quoi pas dire alors que c’est la Musique Celtique du Brésil ? C’est cette partie de leur culture qu’ils aiment le mieux, réservant les côtés plus exotiques de leur pays aux touristes et à l’export…
L’explication de la survivance de cette ancienne culture au Brésil est complexe. D’aucuns diront qu’elle vient des Portugais, d’autres des Africains, des indigènes ou encore qu’elle est née du métissage…
On parle aussi d’une vieille légende transmise par les navigateurs irlandais : l’île de Hy Brasil, à l’origine du nom du pays selon certains. Elle ressemble à celle de Saint Brandan que l’on trouve aussi aux Canaries ou aux Açores, où il y a un mont Brasil… Ces vieilles légendes atlantiques européennes sont parvenues aux peuples du Nouveau Monde qui est peut-être le Tir Na Nog, le paradis que les Celtes cherchaient là où se couche le soleil. Et n’est-il pas curieux de remarquer dans Os sertões, l’œuvre fondatrice de l’imaginaire du Brésil intérieur, on dis que la “structure intellectuelle du Celte” a été apportée aux Brésiliens … par les Portugais !
Mais s’il est une culture qui relie le monde Atlantique Celtique et l’Amérique Latine, c’est bien celle de la Galice. L’émigration a fait que nous trouvons des gaiteros à Cuba, en Argentine, au Mexique… mais c’était au XIXème siècle. A l’époque des Conquistadors, des Galiciens ont-ils emmené leurs traditions s’enraciner outre-Atlantique ? Retournons plus avant dans l’histoire.
Dans l’antiquité, le nord-ouest de la péninsule ibérique était peuplé de tribus celtes, toujours en guerre les unes contre les autres puis soumises par les Romains qui ont appelé cette région Gallaecia, du nom de la tribu la plus fière, les Galaïques. De même que la Bretagne était jadis plus étendue qu’aujourd’hui, cette région dépassait les limites de la Galice actuelle et comprenait les Asturies ainsi que le nord du Portugal (le sud étant appelé Lusitanie). Malgré la culture romaine, notamment la langue, la Gallaecia a préservé une bonne part de sa spécificité : les légendes, les coutumes, le paganisme celtique, la toponymie, la musique même peut-être…
Après l’empire romain, cette région est devenue royaume germain, toujours sous le nom de Gallaecia. A une époque, c’était la seule partie de la péninsule à ne pas être occupée par les Maures. L’apparition, ou l’invention, du tombeau de Saint Jacques à Compostelle est une opération des Chrétiens dans leur croisade contre les Sarrasins : ils ont christianisé une vieille route celtique de pèlerinage qui suivait les étoiles de la voie lactée vers le Finistère galicien… Compostelle étant dans le nord de la Gallaecia, le sud a perdu de son influence et le comté de Portucale s’est détaché pour devenir le royaume indépendant du Portugal au XIIème siècle. Les premiers documents écrits dans une langue dérivée du latin, le galicien-portugais, datent de cette époque. On cherche encore à savoir si les plus vieux textes sont du nord ou du sud de la rivière Miño ou Minho – la frontière –, s’ils sont donc galiciens ou portugais. Jusqu’au XVème siècle, la langue du nord et du sud de la vieille Gallaecia était pratiquement la même. Les deux régions ont connu ensemble leur âge d’or littéraire avec la poésie lyrique médiévale galicienne-portugaise, influencée par celle de Provence grâce aux Chemins de Compostelle. À l’époque, toute la littérature de l’Hispania chrétienne, même celle de la Cour de Castille, était en langue galicienne-portugaise.
Mais au XVème siècle, la conquête de l’Amérique a fait de l’Espagne et du Portugal deux empires concurrents outre-mer. Les rois catholiques espagnols ont soumis la noblesse galicienne. Par ce qu’on a appelé “domptage et castration de la Galice”, la culture et langue castillane ont été officiellement imposées et le galicien n’a plus été parlé que par les paysans et pêcheurs, pratiquement plus écrit jusqu’à la renaissance culturelle galicienne au XIXème siècle. Ce furent des “siècles obscurs” pour la Galice, trop proche du Portugal pour les Espagnols et trop proche de l’Espagne pour les Portugais. Les Galiciens sont alors devenus presque aussi mal considérés que les expulsés d’Espagne : les Juifs, les Maures… Certains cachaient leur origine, comme Christophe Colomb : Juif ? Galicien ?… C’en était bien fini de la splendeur médiévale.
En 1500, au début des “siècles obscurs”, les Portugais arrivèrent au Brésil et leur première lettre au Roi rend compte de leur premier contact avec les indigènes : leur sonneur est descendu du bateau et a fait danser tout le monde sur la plage. La première rencontre Europe-Brésil a donc eu lieu au son de la gaita ! Les marins d’alors ont emporté avec eux une culture qui n’était pas la culture portugaise d’aujourd’hui mais celle de l’antique Gallaecia rurale. Elle a été rapidement suivie par la culture officielle de Lisbonne, lusitanienne, de la Renaissance. Le vieux cri de guerre “Santiago” avait déjà été supplanté par “San Jorge”, à l’instar des Anglais. Gagnant le sud du Portugal au fur et à mesure de la reconquête du territoire sur les Sarrasins, la langue y a acquis un accent particulier avant de remonter vers le nord via Lisbonne, la capitale, et a donc commencé à s’écarter du vieux galicien-portugais. Paradoxalement, la langue du Brésil est restée plus proche du portugais du XVème siècle que de celui du Portugal actuel. Aujourd’hui, le galicien étant également demeuré archaïque, un Galicien comprend bien mieux un Brésilien qu’un Portugais pourtant très proche géographiquement…
Dans la musique, la “guerre” cornemuse - guitare est un exemple de la bataille culturelle entre urbain et rural, sud et nord… La cornemuse est le vieux monde, la périphérie, le Moyen Age, la musique modale, le nord, l’Atlantique… La guitare est la nouveauté, la Renaissance, le baroque, le sud, la ville, la Méditerranée… Pour revenir à la cornemuse de 1500, on la retrouve lors de cérémonies coloniales et, sur des gravures du XIXème siècle, on voit des Noirs qui en jouent. Le plus ancien régiment de la marine brésilienne, Os Fuzileiros Navais, arrivé avec le roi du Portugal fuyant les troupes de Napoléon il y a 200 ans, en joue aussi. Ibérique à l’origine, elle a été remplacée par l’écossaise trouvée par hasard sur un bateau acheté à l’armée anglaise dans les années 1940. Il faudrait jumeler ce régiment avec le Bagad de Lann Bihoué !
Au Brésil, on appelle de nos jours gaita l’accordéon (comme la musette en France) ou l’harmonica et même quelques flûtes indigènes. Assurément, la musique pour accordéon du nord-est brésilien (région peuplée en premier) ou de Minas Gerais (peuplé au XVIIIème siècle par des Minhotos, Portugais de la région frontalière de la Galice) pourrait bien être de la musique pour cornemuse : le bourdon, les gammes, les ornementations…
De rares intellectuels brésiliens et galiciens ont étudié ces liens : Varnhagem, Vicomte de Porto Seguro, qui a visité la Galice au XIXème siècle; le moderniste Guilherme de Almeida qui y est venu dans les années 1930, a rencontré Castelao (pionnier des rencontres avec la Bretagne) et publié un article intitulé Galliza, Pátria da Cançao (Galice, Patrie de la Chanson) ou le grand Gilberto Freyre, lui même d’origine galicienne, dans les années 1940. Ces chemins secrets ont été explorés par des artistes pleins d’intuition comme les grands poètes modernistes brésiliens Mario de Andrade ou Manuel Bandeira dont certains poèmes s’inspirent des Cantigas médiévales en langue galicienne-portugaise. Mais ni les Brésiliens ni les Galiciens ne se sont encore approprié cet imaginaire transatlantique : le Brésil appartient au monde portugais et la Galice à l’espagnol, deux mondes jumeaux ignorant leurs nombreux liens et, notamment, que la Galice est le pont qui les relie…
Les chansons de la Musique Populaire Brésilienne trouvent souvent leur source dans le folklore de l’intérieur avec des résultats très proches de la musique celtique de Dan Ar Braz ou d’Alan Stivell. Le Chemin de Compostelle est devenu la première destination des Brésiliens à l’étranger après le best seller de leur Paulo Coelho… Dans les années 1970, le mouvement musical brésilien Armorial, créé par Ariano Suassuna, “le Per-Jakez Helias de Pernambouc”, jouait une musique instrumentale très proche de la musique celtique, qui renaissait aussi à cette époque-là en Europe depuis la Bretagne, toujours féderatrice des celtes.
On pourrait citer de nombreuses légendes, coutumes, fêtes… Par exemple, les Brésiliens attendent encore une sorte de Roi Arthur du sertao, il y existe toujours la vieille légende bretonne des 11 000 vierges. Ou encore la légende sur l’origine du métissage au Brésil : c’est celle de Caramuru, un Galicien ou Portugais du nord marié à l’indigène Paraguaçu dont les enfants furent les premiers Brésiliens. Le couple se rendit en Europe et, avant revenir au Brésil, Paraguaçu fut baptisée Catharina do Brasil… à Saint Malo ! Et le premier bateau qui amena des Noirs Africains au Brésil en 1911 : il s’appelait Nau Bretoa, ce qui signifie Navire Breton… Et enfin le patron des avocats brésiliens : c’est aussi celui des Bretons, Saint Yves…